Opinion

Qui financera Street Fighter 6 à l'échelle locale ?

Publié le 14/04/2023

À deux mois de la sortie de Street Fighter 6, les associations qui font vivre le jeu de combat à l'échelle locale se retrouvent coincées, faute d'argent et de support pour renouveler leur matériel.

La majorité des événements français, du gros tournoi comme le MIXUP (Lyon) à la plus petite des sessions dans une région reculée, sont organisés par des associations à but non lucratif. Ces associations se financent via des cotisations ou des entrées prélevées aux joueurs, et maintiennent des prix d'accès plutôt bas car leur public est relativement jeune et peu fortuné.

Et c'est tant mieux ! Les associations locales furent, ces 20 dernières années, à la fois un lieu d'apprentissage pour ceux qui accomplirent de grandes choses par la suite (Kayane, Luffy, etc.), et un rendez-vous pour ceux qui, plus modestement, aiment jouer aux jeux de combat entre potes sans chercher à gagner l'EVO.

Elles sont aussi plus durables et stables que les bars qui accueillent des communautés, comme c'est souvent le cas pour Smash Bros. Ultimate aujourd'hui, car n'ont pas d'objectif de rentabilité, par exemple un certain nombre de consommations attendues par joueur. Il y est possible d'entretenir une communauté sur un titre de niche, ou passé de mode auprès du grand public.

Créer une association de ce type demande beaucoup d'argent et de contacts. La faire tourner, très peu. Une fois le lieu trouvé, les écrans achetés et les consoles sécurisées via des achats ou des prêts, il n'y a plus vraiment de frais de fonctionnement. L'argent des membres sert à payer des frais fixes annuels comme la location de la salle, et le reste permet de réparer la casse ou, au mieux, d'organiser un tournoi annuel.

Une augmentation des coûts de fonctionnement

Mais ces dernières années, la donne a quelque peu changé. Si la Playstation 4 fut la plateforme par défaut et extrêmement rentable sur la durée, la quantité de jeux a explosé. Rien que sur cette génération, Street Fighter 5, Tekken 7, Dragon Ball FighterZ, Mortal Kombat X, puis XI, Guilty Gear Xrd puis Strive, King of Fighters XIV puis XV, et Smash Bros. Ultimate furent ou sont encore des jeux populaires. Et c'est sans compter sur tous les titres un peu plus obscurs comme Samurai Showdown, DNF Duel ou Melty Blood ; et les classiques encore joués, comme 2X ou Third Strike.

Je ne sais pas si d'autres bénévoles ont eu cette expérience, mais il m'est arrivé lors de sessions à Brest de ne pouvoir lancer le jeu pour lequel un joueur était venu, faute de l'avoir acheté, d'avoir son perso DLC, ou d'avoir la bonne console ce soir là. Maintenir un parc de consoles à jour avec tous les jeux du moment est devenu un poste de dépense tellement conséquent que nous avons fini par abandonner.

Si Street Fighter 6 et de Tekken 8 nous hypent, il ne se passe plus une session sans que la question de comment financer leur arrivée n'ait lieu. Le peu de trésorerie mis de côté aidera, mais encore faut-il ne pas se planter dans le choix de plateforme.

Aucun choix satisfaisant

Et si j'en crois les réponses que j'ai reçu via Twitter sur le sujet, nous sommes nombreux à partager cette crainte concernant le choix de plateforme. Plusieurs pistes se dégagent, mais aucune ne semble satisfaire tout le monde :

  • Une Xbox Series S se trouve à 250 euros, est facile à stocker, transporter, gérer. Mais la console n'est pas populaire chez nous, peu de joueurs ont du matériel dédié, ce qui veut dire fournir des adaptateurs brook, ou laisser les joueurs se les procurer.
  • Une PS5 coute 450 euros, est trop difficile à stocker et transporter. Il y a peu de contrôleurs disponibles et beaucoup sont hors de prix. Et la console possède par défaut un fort input lag dont on ne sait pas s'il sera corrigé sur tous les jeux à venir.
  • Les PC coutent encore plus cher, mais pourraient réduire les frais au niveau de l'achat des jeux, via un unique compte Steam pour toutes les machines. Mais les versions PC ne sont pas toujours performantes, et l'input lag peut varier entre deux machines aux configurations différentes. Il faudrait donc un unique modèle pour toute la durée de vie du jeu, ce qui est illusoire.

L'attentisme est donc de rigueur pour tout le monde, en particulier au sujet de Street Fighter 6, dont nous n'avons toujours pas vu la version Playstation 4. Si celle-ci s'avère correcte, quelques mois de répit pourraient être gagnés le temps de voir sur quelle plateforme next-gen les joueurs veulent jouer.

Mais c'est sans compter sur une nouvelle problématique que personne n'a vu venir : les écrans. Ceux utilisés dans les tournois ont une résolution de 1080p et un taux de rafraichissement de 60hz. Mais les nouvelles consoles supportent des taux de rafraichissement plus élevés qui réduisent l'input lag et offrent donc un confort de jeu bien supérieur, ce que les joueurs pourraient réclamer.

La question du sponsoring

Lors de discussions sur le sujet avec les joueurs les plus jeunes de l'asso où je staff, beaucoup me disaient qu'on devrait se faire sponsoriser. Comme en gros ce qu'on fait c'est de l'eSport, et que dans l'eSport il y a de l'argent et donc des sponsors, pourquoi on en a pas ? C'est malheureusement faux, le milieu se rétracte fortement et l'argent s'y fait rare. Et même lorsqu'il était en pleine expansion, les organisateurs chevronnés avaient déjà des difficultés à convaincre les marques.

Si les gros éditeurs fournissent des codes pour leurs jeux (mais pas forcément pour tout le monde, et rarement pour les DLC), aucun constructeur de console, de PC ou d'écran ne regarde l'équivalent d'un club de foot de quartier et conclut qu'il mérite plusieurs milliers d'euros de matériel.

Le retour sur investissement est inexistant : pas d'influenceur connu, peu d'heures de stream, pour peu de spectateurs. Pas de jersey à vendre comme pour une équipe de sport. Aucune moyen de mesurer le retour sur investissement avec, par exemple, un code promo. Même si l'eSport est rentré dans les mœurs, beaucoup de marques intéressées cherchent de plus gros poissons que nos petites antennes locales.

Et parfois, ce sont des problèmes purement administratifs, gestionnaires, ou d'intérêt personnel. Les budgets marketing des marques sont décidés des mois à l'avance, voire annuellement, ce qui repousse les discussions à plus tard. Parfois, une branche française ne peut administrativement pas prendre de décision de sponsoring, mais son parent Européen considère que nous sommes un sujet typiquement français et lui renvoie la balle, bloquant la situation.

Et parfois, l'interlocuteur s'en fout du jeu de baston, tout simplement.

Un air de déjà vu

Les plus jeunes n'en ont probablement pas entendu parler, mais ce n'est pas la première fois que cette situation a lieu. Lors de la fin de la vie de la Playstation 2, beaucoup d'associations avaient alors souffert d'un défaut d'équipement quand Street Fighter 4 a explosé en popularité.

Non seulement la Playstation 3 était chère, trop grosse, avec de trop mauvaises performances, mais il avait fallu négocier le passage aux écrans plats, à une époque où les cathodiques étaient la norme et l'input lag un non-sujet.

La scène avait alors migré sur Xbox 360, car la console était beaucoup moins chère et plus populaire ; et on se passait sous le manteau les références d'écrans qui, promis juré, ne laggaient pas, ce qui ne laissait pas beaucoup de choix quand aux tailles et prix. Pendant une courte période, on a même vu des Xbox 360 branchées à des écrans de PC via le port VGA.

Mais l'époque n'est plus la même. L'EVO appartient désormais à Sony, qui forcera l'usage de sa console dans le plus gros tournoi du monde. Capcom n'a pas encore annoncé sur quelle console son Capcom Pro Tour 2023 aura lieu, mais les joueurs eux, attendront que les organisateurs de tournoi suivent cette décision.

Dans tous les cas, les associations vont devoir investir, et pour cela il va falloir de l'argent. Et dans une période de récession comme celle que nous vivons, pas sûr que les joueurs puissent encaisser une augmentation des tarifs afin de financer un jeu auquel ils peuvent, finalement, jouer à la maison.

PARTAGER L'ARTICLE SUR Partager sur twitter Partager sur facebook
Aidez Bas Gros Poing

INSERT COIN ?

Aidez BGP à se développer !

Fichier 1