On y a joué

Premières impressions sur Guilty Gear Strive

Avec Guilty Gear Strive, Arc System Works souhaite adapter son titre phare à un nouveau public en gommant ce qui faisait sa spécificité. Et si le résultat offre un jeu qui ne ressemble à aucun autre, pas sûr pour autant qu'on ait envie d'y jouer longtemps.

Ne nous étendons sur les lobbys affreux ou les interfaces totalement déglinguées de Guilty Gear Strive. Tout le monde ou presque est d'accord pour dire que ces idées sont bonnes à mettre à la poubelle et que Arc System Works doit revoir sa copie. Passons directement à ce qui nous intéresse, à savoir le gameplay du jeu. Quelle est son ambition, que propose-t-il et surtout, parvient-il à ses fins ?

Ce nouveau Guilty Gear tente comme bien d'autres avant lui de répondre au principal défaut du jeu de combat : 50% de ceux qui y jouent perdent. Dans un genre compétitif où gagner est la principale source de satisfaction, comment donner envie aux perdants de rejouer ? Une infinité de moyens existent, tels que le matchmaking, des réglages du système de jeu ou encore des mécaniques qui avantagent le perdant.

Ces dix dernières années la majorité des moyens employés furent majoritairement mécaniques et l'Ultra de Street Fighter 4 en est le meilleur exemple. Une attaque qui ne peut être obtenue qu'en perdant, qui possède souvent des propriétés évasives, et qui fait des dégâts importants. Cette mécanique agit comme un régulateur d'ego en devenant un jeu dans le jeu qui permet de diminuer la frustration liée à la défaite. Placer son Ultra alors qu'on est aux portes de la défaite permet au mieux de gagner, au pire de se rapprocher de la victoire. Perdre mais en ayant la sensation d'avoir tout essayé est plus agréable que mourir avec son pif.

Un paquet d'autres jeux ont suivi cet exemple. Tekken 7 avec ses Rage Art/Drive, Soulcalibur 5 avec sa barre de Super qui se remplit à 100% au dernier Round ou encore les Skybounds qui deviennent des Super Skybounds dans Granblue. Mais tous ces jeux ont un point commun qui les rendaient déjà plus satisfaisants dans la défaite que ne le faisait Guilty Gear : leurs tours de jeu sont courts.

Tu me tapes, je te tape

En dehors des phases à distance, un jeu de combat possède des tours. D'abord le joueur A, puis le joueur B, puis à nouveau le joueur A, etc. Et dans presque tous les jeux, le but est d'utiliser les capacités de son personnage afin de prolonger son tour (en pressing, en combo), de voler un tour à son adversaire (via une feinte, un reset) ou encore de l'amoindrir (options défensives). Se pose donc la question de la durée de ces tours de jeux. Est-ce qu'ils sont courts, longs ? La fin d'un tour est-elle facilement identifiable par les deux joueurs ? Les méthodes qui permettent de prolonger ou interrompre ces tours de jeu sont-elles connues de tous ? Prenons deux exemples opposés, Tekken 7 et Dragon Ball FighterZ.

Dans Tekken c'est "je te tape, tu me tapes" car la majorité des coups sont négatifs en garde et ne peuvent pas être enchainés les uns avec les autres. Mais il est tout à fait possible de se baisser, de faire un pas de côté, un coup invincible à une certaine hauteur d'attaque, pour esquiver le coup adverse et voler un tour. C'est la base du jeu 3D depuis Virtua Fighter, les tours de jeu sont extrêmement courts et beaucoup de micro-choix sont faits chaque seconde.

À l'inverse dans Dragon Ball FighterZ, le joueur qui met le premier coup dans la garde adverse va pouvoir en enchainer plusieurs et s'il est nécessaire de laisser des trous dans cette pression (afin notamment de recharger ses assists), ils ne sont pas facilement identifiables et peuvent être modifiés à l'envie. Comme le jeu propose des options défensives puissantes mais risquées, à savoir changer de personnage ou utiliser le reflect pour repousser son adversaire, les tours de jeu sont extrêmement longs et leur fin difficile à trouver. À peine se rend-t-on compte que c'est notre tour que l'adversaire en profite pour reprendre la main.

Et cette dynamique de tours longs, c'est justement ce que Arc System Works souhaite purger de Guilty Gear afin de le rendre plus accessible aux nouveaux joueurs. De gros changements ont été apportés aux différents systèmes de jeu mais le résultat semble parfois contre-productif.

Les chains combo

Alors quelles modifications ont été apportées pour garantir un temps de jeu plus équitable ? La plus évidente, c'est le changement majeur dans l'architecture des combos. Guilty Gear a toujours eu un système à 5 boutons utilisant des chain combos (leur nom officiel est gatling combos), à savoir un enchainement sans timing précis de ses coups normaux, à la condition qu'on aille du coup le plus faible au plus fort. Le typique Punch > Kick > Slash > High Slash > Dust est dans l'ADN de la série depuis ses débuts et permet de rapidement prendre en main n'importe quel personnage.

Strive fait table rase de ce système en utilisant des routes prédéfinies par les développeurs. L'objectif est évidemment de réduire le nombre de coups enchainés afin de réduire le tour de chaque joueur. Mais dans les faits, cela rend le système beaucoup plus complexe que simplement passer d'un bouton à un autre. Il faut désormais apprendre un combo spécifique pour chaque bouton avec lequel on démarre, comme expliqué dans le diagramme ci-dessous.

Si apprendre quel coup est punissable par quel coup afin de maximiser ses dégâts est un cheminement logique dans tout jeu de combat, c'est un raffinement qui arrive habituellement plus tard dans l'apprentissage. Le système de chains de Guilty Gear avait l'avantage de ne pas l’exiger dès le début auprès des débutants et de leur permettre de s'assurer des dégâts tout en limitant la charge mentale nécessaire.

Enfin dernier point important, presque tous les jump cancels (la possibilité d'annuler un coup normal par un saut) ont disparu. Dans les opus précédents il était de coutume après un anti-air tel que bas + HS (l'équivalent du Bas Gros Poing !) de sauter pour faire un ou deux coups dans les airs. Ces coups dans les airs pouvaient eux-même être annulés par un saut pour continuer le combo mais ce n'est plus possible. Beaucoup de coups aériens font maintenant tomber au sol directement, sans possibilité de faire quoi que ce soit. Le peu de combos dans les airs possibles sont ceux autorisés par les développeurs du jeu.

Vous l'aurez compris une énorme partie de l'identité de Guilty Gear a donc disparu et cela rend le jeu extrêmement limité. En dehors des chains autorisées, il n'est souvent possible d'annuler un coup normal que par un coup spécial, ce qui donne des combos très courts et répétitifs. Pour les étendre, il faut soit profiter d'une propriété spéciale du coup (rebond, placage contre le mur), soit utiliser de la barre de Super pour annuler le coup spécial et pouvoir enchainer un autre coup normal, et ainsi de suite.

Enfin et pour finir sur ce changement, il provoque une sensation très contrastée avec le reste du jeu. Vu qu'on court, saute, tape, vole librement et sans entraves comme auparavant, ne pouvoir faire qu'une série de coups pré-programmés une fois au corps à corps donne la sensation qu'il y a deux jeux dans Guilty Gear Strive.

Le coin

Ces changements déjà spectaculaires passent cependant au second plan dès qu'on parle du coin. Pour rappel dans les précédents épisodes de la série, les tours ne pouvaient durer longtemps que grâce à la présence d'un des deux joueurs dans le coin. Les pressings, combos et phases défensives les plus longues s'y déroulaient et finissaient souvent par une mise au sol, garantissant à celui qui avait le tour de le conserver.

On le rappelle, le principal souci de ce genre de situation vient de la difficulté pour le défenseur à identifier quand il doit agir, via un déplacement ou une attaque. Dans Guilty Gear beaucoup de trous dans les phases offensives permettent d'inverser la tendance, mais encore faut-il les trouver, réagir et faire le bon choix. C'est probablement l'élément le plus difficile du jeu car cela requiert une connaissance des capacités du personnage adverse, des réflexes et une bonne défense.

On s'attendait donc à des moyens défensifs plus faciles à mémoriser et à utiliser pour repousser son adversaire ou simplement sortir du coin, et il y en a. La fautless defense, qui repousse l'adversaire en échange de ressources, est de retour. Il est aussi possible d'interrompre l'adversaire via une demi-barre de Super, afin de remettre la situation à zéro. Chose également importante, il n'y a presque plus de mise au sol de longue durée. Il est possible de se relever instantanément et ainsi d'éviter un adversaire qui prépare une attaque. Un changement presque anodin sur le papier qui change encore une fois profondément l'identité du jeu.

Enfin et c'est là le plus gros changement, le coin est désormais temporaire. Si un des deux joueurs reçoit plusieurs coups alors qu'il est dans le coin, le mur invisible qu'il a dans le dos se craquelle à chaque attaque et finit par se briser. Les deux joueurs sont alors propulsés sur une autre partie du stage et repartent à zéro. En échange de la perte du coin, celui qui l'a brisé reçoit un bonus de ressources.

Sur le papier ce mur qui se brise est une bonne idée. Il servira avant tout aux joueurs qui n'ont pas encore internalisé les mécaniques défensives. Mais dans les faits, c'est presque inutile. D'abord, parce que les chains combos réduisent radicalement les possibilités offensives, ensuite parce que le recul sur les coups est beaucoup plus fort qu'avant. Combinés, ces deux changement permettent déjà de plus facilement identifier la fin d'un tour adverse, consciemment ou non.

Mais surtout toute mécanique censée limiter les joueurs dans leurs capacités est un appel à en trouver les limites pour mieux la contourner. Car après tout pourquoi briser le mur ? Les joueurs confirmés ont déjà trouvé des stratégies pour profiter du mur afin de rallonger leur combos sans pour autant le briser, conservant ainsi leur adversaire dans le coin. C'est ce qu'on voit arriver ci-dessous (vidéo via HiFight) :

Si tous les personnages ne risquent pas d'être capables d'attaquer en boucle de cette manière, ils pourraient très bien trouver d'autres moyens d'abuser du mur sans le briser. À voir sur le long terme mais si cette mécanique reste inchangée, elle pourrait aussi bénéficier à certains types de personnages plutôt qu'à d'autres. De fait, on pourrait se retrouver avec un titre où on se prive d'utiliser une des principales mécaniques de jeu pour gagner.

Hit stop, caméras, COUNTER HITS et gros dégats

Le dernier gros lot de changements s'adresse aussi aux nouveaux joueurs, avec encore une fois des résultats mitigés.

Parmi ces modifications on en trouve une liée au hit stop, ce freeze au moment des impacts qui donne de la force aux attaques et permet plus de lisibilité. Dire qu'Arc System Works s'est assuré qu'on puisse bien voir les impacts serait un euphémisme. Chaque gros coup provoque un énorme freeze qui fait trembler l'écran et permet de faire le point sur la situation puis d'enchainer le coup suivant.

Si cela semble fonctionner pour aider les nouveaux, ce système peut clairement troubler les habitués du genre ! Là où l'on a l'habitude de préparer le coup suivant pour le sortir au moment de l'impact, on se retrouve à devoir attendre la fin de l'impact pour le sortir. Si l'on s'habitue rapidement au niveau gameplay, le manque de subtilité de ces mouvements de caméra, ralentissements et effets visuels devient rapidement rébarbatif. C'est d'ailleurs le cas de beaucoup d'éléments du jeu, que ce soit le coin qui se brise, les impacts de coups ou les fameux COUNTER HIT.

Pour rappel un counter hit se déclenche quand deux joueurs se frappent en même temps, chose qui arrive beaucoup plus souvent à bas niveau qu'à haut niveau. Le réflexe de base pour un développeur visant les joueurs inexpérimentés est donc de mettre ces interactions en valeur et de favoriser le gagnant de cette double touche. Street Fighter 5 en est un bon exemple avec ses Crush Counter, qui étourdissent celui qui se le prend et permet à l'attaquant de poursuivre son offensive. Dans Guilty Gear Strive, Arc System Works n'y est pas allé de main morte :

Passé leur rendu visuel ostentatoire, les counter hit ont des propriétés finalement assez standard pour la série. Ils soulèvent l'adversaire plus haut, le font flotter plus longtemps, étourdissent plus fort. Ils permettent donc logiquement de faire des combos impossibles autrement.

Mais ce n'est pas tout. Comme ce fut le cas dans les opus précédents, une barre de garde (nommée R.I.S.C dans Guilty Gear Xrd) se remplit à chaque coup gardé. Passé 50%, les coups touchent en counter hit, ce qui va de facto augmenter les dégâts si la garde est brisée. Certains coups remplissent très vite la barre de garde et mettent ainsi l'adversaire dans une situation dangereuse. Car au-delà des coups normaux, le bouton Dust, qui est un overhead (il faut le garder debout) change de propriétés.

En temps normal, il se contente de briser la garde et d'envoyer valser à l'autre bout de l'écran. Mais dans le cas où la barre de garde est remplie, il envoie dans les cieux comme c'était le cas auparavant. Et c'est là que le bas blesse car une fois en l'air, il est possible de cogner l'adversaire... avec des chains combos. Un gros coup final termine l'enchainement aérien et ramène au sol, comme lorsque l'on casse le mur. Le bouton Dust étant très rapide, il risque d'être difficile à garder et de prendre de l'importance avec le temps, sauf si les joueurs préfèrent garder le coin plutôt que les dégâts.

Les dégâts, c'est aussi une problématique sur laquelle Arc System Works va devoir se pencher. La réduction des possibilités de combos s'accompagne logiquement d'une augmentation des dégâts pour la plupart des enchainements. Combinés à une barre de garde chargée ou un counter hit, les barres de vie s'envolent et le jeu peut parfois sembler ridicule.

Le mot de la fin

Vous l'aurez compris, ces évolutions parfois discrètes, parfois majeures, visent à raccourcir les tours de jeu afin que les joueurs les moins forts aient plus de temps de jeu et puissent simplement s'amuser. Il est fort possible que les différents paliers d'apprentissage du jeu soient plus clairs et identifiables qu'ils ne l'étaient dans les anciens épisodes. Et même si une poignée de joueurs risque de détourner les mécaniques de jeu à leur avantage, ils ne devraient pas être la majorité durant les premières semaines après la sortie.

Reste qu'après quelques heures de jeu, on se lasse déjà un peu de Guilty Gear Strive. Pour un joueur débutant ou s'investissant peu les grosses ficelles ne seront pas forcément visibles. Mais pour un joueur ayant un minimum d'expérience le nouveau titre d'Arc System Works est en l'état plus une source de frustration que de plaisir. L'enthousiasme de la découverte des nouveaux coups et systèmes de jeu est souvent contrebalancé par les limitations imposées. Dès qu'on a une idée de combo même basique, il faut revoir ses ambitions à la baisse car le jeu ne les autorise pas, au risque d'arriver à un stade où tout le monde joue pareil, fait pareil.

Certains diront que faire le tour d'un titre pareil en 6 heures de jeu n'a aucun sens. En effet le tour du jeu n'a pas été fait, mais on en a pourtant la sensation. C'est que l'expérience de Guilty Gear Strive rappelle étrangement celle vécue avec Street Fighter 5. Comme dans le jeu de Capcom et malgré un casting de personnages aux capacités variées, la partie la plus fun du jeu est conditionnée à des ressources, rendant par comparaison le reste du jeu fade.

Quand ils parlent à la presse, la majorité des producteurs de jeu de combat n'ont qu'un seul mot à la bouche, l'accessibilité. Si beaucoup savent très bien qu'ils vendent un gros mytho et que leur jeu est en fait complexe, Arc System semble croire que la complexité de leur série phare est un frein à son succès. La réalité est qu'ils n'ont jamais eu l'argent et le talent marketing pour la faire connaître et que la complexité d'un jeu n'a rien à voir avec son (relatif) manque de succès. Sinon comment expliquer Dota2, Counter Strike ou même... Smash Bros Melee ?

Certes, le mythe du jeu de combat difficile peut effrayer ou favoriser des discours de gardien du temple. Mais la vérité c'est qu'un jeu complexe et profond fascine, fait parler, donne envie en même temps qu'il fait frissonner. Il est tout à fait possible de faire des jeux relativement complexes et accessibles, les Street Fighter 4, Killer Instinct et dans une moindre mesure Granblue Fantasy Versus en sont la preuve. A ce stade et de ce que nous avons pu en jouer, Guilty Gear Strive est un jeu pétri de contradictions qui semble confondre accueillir avec abêtir, simplifier avec complexifier.

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