Interview

Comment rendre les jeux de combat plus faciles et populaires ?

Créateur du jeu Divekick et game designer sur Killer Instinct, Adam Hearts dit Keits était invité sur la chaine Twitch de James Chen et UltraDavid pour une émission centrée sur la simplification, le marketing et l'équilibrage des jeux de combat. Avec leur permission nous vous proposons ci-dessous une traduction de leur débat.

James : Je voulais t'en parler vu que tu as travaillé sur Killer Instinct. Aujourd'hui il y a ce discours comme quoi on rend les jeux de combat bêtes, on les rend trop faciles à jouer. Le fait de rendre les jeux plus faciles, est-ce une erreur ou une vraie bonne idée ?

Un travail a déjà été effectué dans ce sens et on a déjà des jeux de combat simples. Des jeux comme Fantasy Strike existent. Et ils ont prouvé que peu importe la simplicité du jeu, s'il mérite d'être joué, les joueurs chevronnés vont mettre 100-0 aux nouveaux. C'est illusoire de croire que les nouveaux joueurs ont une chance contre des joueurs expérimentés. Si c'est le cas on joue à Mario Party avec des jets de dés, mais le jeu ne mérite pas qu'on y investisse du temps. Et si votre temps n'est pas récompensé par de l'expérience qui vous rend meilleur, vous vous ennuyez et vous arrêtez de jouer. C'est aussi simple que ça.

Je vois tant de gens dire "C'est un jeu pour attirer un nouveau public, blablabla". Mais vous ne pouvez pas dire ce genre de choses sans contexte. Est-ce qu'on parle des gens qui n'ont jamais joué à un jeu vidéo ? De gens qui n'ont jamais joué aux jeux de combat, ou à cette série spécifique ? Est-ce qu'on parle de gens qui n'ont jamais joué à un jeu de combat mais ont joué à des jeux d'actions ou de bagarre ? Est-ce qu'on parle de ceux qui n'ont joué qu'à des jeux de sport ? Et contre qui vont-ils jouer ? Vont-ils jouer contre des gens qui ont le même niveau, contre des gens plus expérimentés ?

Donc quand on dit des choses telles que "ces décisions ont été prises pour les nouveaux", il faut aussi prendre en compte le contexte. Qui est ce "nouveau joueur" dont vous parlez, cet être mythique ? Sont-ils dans l'audience cible et si ils le sont, il faut être encore plus spécifique. Pour un jeu comme Divekick, le public cible est celui qui n'a jamais joué à un jeu de combat, mais pas celui qui n'a jamais joué à un jeu vidéo. Il y a donc plein de décisions que l'on peut prendre en fonction de ce première paramètre et du second.

James : Mais en tant que développeur, comment gérer cette situation ? C'est évidemment un problème pour tous les genres compétitifs, mais pourquoi un jeu comme League of Legends arrive à toucher un public allant du "je n'ai jamais joué à un jeu" à "je n'ai joué que à Dota" ?

League of Legends a déjà de l'avance parce qu'il est un des premiers jeux free to play à succès. Plein de gens sont devenus accros à l'époque parce que c'était gratuit. Mais c'est une question compliquée.

On le sait dans le jeu de baston, en un contre un, 50% des joueurs perdent chaque match et ils ne peuvent le reprocher à personne qu'à eux-même. C'est difficile d'accepter ce fait. Si vous comparez cette situation avec par exemple un Battle Royale, qui est aussi un genre compétitif. Vous faites 8ème, vous n'avez tué personne, vous vous êtes planqué dans des buissons toute la partie, vous êtes meilleurs que 92 autres joueurs. Bravo à vous, vous avez gagné au jeu ! C'est une raison de se réjouir non ? Cela n'en est pas une pour moi, mais c'en est une pour de nombreuses personnes, on a des données qui le prouvent.

Quand vous jouez à League of Legends ou Dota, vous n'êtes pas seul, vous êtes dans une équipe de cinq personnes. Ces quatre autres joueurs veulent gagner et vont donc s'investir dans votre propre réussite. Dans un jeu de combat, aucun joueur ne fait d'efforts pour vous faire gagner. La logique serait plutôt : "Je me moque que vous ne gagniez aucun match. Et pourquoi je devrais vous aider à gagner ? Vous tous, tous les joueurs, vous êtes mes adversaires." Il y a très peu de gens qui investissent de leur temps dans leurs adversaires. Le jeu de combat se rend la vie dure en étant en 1 versus 1.

Certains vont supporter cette situation. Et... ils composent notre communauté ! Logiquement il y a une limite de croissance. Il y a beaucoup de gens qui ne tolèreront pas de se prendre des fessées en 1 versus 1 assez longtemps pour gagner assez d'expérience et se sentir progresser.

James : Donc si tu devais faire un nouveau jeu de combat aujourd'hui comment tu t'y prends ? Est-ce que tu essaies de viser tout le monde au risque de ne plaire à personne ou tu prends le risque de ne plaire qu'à un groupe précis ?

Il faut évidemment choisir une audience cible. Peu importe le produit, c'est la base pour faire un jeu qui va plaire à un public. Il vaut mieux avoir 5% du marché que zéro. On voit ça aussi dans le cinéma où des films sont testés par des audiences cibles très variées afin qu'ils plaisent au plus grand monde. A la fin c'est juste plat et sans saveur. Cela arrive aussi avec les jeux qui sont trop testés par des audiences cibles. Ils n'ont pas de vision et ne parlent à personne.

Il faut prendre en compte que le jeu à 60 euros était ce qui comptait. Si j'arrivais à vous faire acheter Street Fighter 2 sur Super Nintendo, c'était la fin de notre relation. Il n'y avait pas de moyens d'aller en ligne pour s'auto-frustrer et vous pouviez juste jouer contre vos amis. Et si l'un d'eux était plus fort que vous, vous pouviez juste arrêter de joueur.

Mais tout cela a changé. Maintenant on fait payer 60 euros un jeu mais comme l'audience du jeu de combat a diminué, cela ne va pas rentabiliser le jeu. Nous devons donc vendre des costumes en DLC. Et comme nous devons vendre ces costumes en DLC pour que le jeu soit rentable, ce qui arrive souvent, nous faisons tout ce que nous pouvons pour que vous continuiez à jouer.

Cette vente à 60 euros est juste le début. Je dois faire attention à pourquoi vous ne jouez plus, car si vous ne jouez plus vous n'achèterez pas le 27ème costume de Chun-li. Et j'ai vraiment besoin que vous achetiez le 27ème costume de Chun-li, même si vous n'en portez qu'un à chaque match.

Alors comment on fait ?

Équilibrer ce problème de 1vs1 n'est qu'une partie de l'équation. Il y a beaucoup de gens très compétitifs qui pourraient s'y investir si le jeu les accueillait proprement. Pourquoi ils arrêtent de jouer ? Principalement à cause de l'expérience utilisateur (UX). Une des choses à équilibrer peu importe le jeu c'est le fun versus la frustration. Et quand il faut passer par 8 minutes dans des menus pour 2 minutes dans un match, pourquoi rester ? Tout le monde quitte le navire.

Certains jeux ont fait de gros progrès sur ce point. Oui ce système de matchmaking est lent et nul et vous devez attendre 8 minutes pour avoir un match, mais vous pouvez désormais attendre en mode entrainement ! Donc vous progressez au jeu, vous testez des trucs, le temps s'envole. C'est une bonne expérience utilisateur. Vous ne restez pas dans un menu à regarder une barre de progression tourner pendant que le jeu cherche des adversaires.

Donc c'est une bonne chose à faire, trouver des améliorations qui donnent envie de jouer. Vous voulez que vos temps d'attente entre les matchs soient courts, comment faits-vous ? Vous avez besoin de netcode à base de rollback, parce qu'avec un netcode à base de délai votre réservoir de joueurs s'amenuise.

Connaissant les chiffres, je peux vous dire 10 millions de personnes ont joué à Killer Instinct, ce qui est beaucoup. Combien sont allé jouer en ligne au moins une fois ? Moins de 50% des joueurs. Par défaut vous vous dites que les jeux de combat c'est du 1 versus 1, il faut aller en ligne, devenir le meilleur, battre tout le monde, mais 50% des joueurs ne le font pas. Pourquoi ?

Ce n'est pas l’expérience utilisateur du jeu en ligne, il n'y sont pas allés et ne savent pas si c'est bon ou mauvais. Il y a un facteur à prendre en compte qui est l'embarras. "Je dois aller en ligne, mon pseudo est affiché, je mets ma vie en jeu et si quelqu'un me bat ce sera la honte. Quelqu'un pourrait enregistrer le match et le mettre sur youtube dans une compilations de fails et mon ego ne le supportera pas."

Cela semble idiot mais c'est une réalité qui empêche de jouer en ligne !

James : Quand je joue en ligne et perd j'ai toujours ce sentiment que la personne en face est en train de rire et de moquer de moi. J'ai toujours l'impression que le joueur en face est abruti.

Mais tu sais quoi, quand je gagne, je me moque d'eux et je rigole ! Donc évidemment que tu n'aimes pas quand c'est l'inverse ! Je parle super mal quand je joue en ligne, je suis là "Regarde toi imbécile, ne saute pas crétin !".

James : Tu vois tu es le problème !

L'autre problème c'est comment vendre ces jeux. Le marketing n'y arrive pas en ce moment. Pourquoi les jeux de baston sont cools ? Si tu regardes la jaquette des jeux de baston de ces 10 dernières années, tu crois que c'est cool parce que c'est facile. Mais personne n'y croit à ça ! Personne ne lit la jaquette et se dit "Facile à jouer, vivement que je rentre jouer et maîtrise ce jeu en 10 minutes !".

Ce n'est pas vrai ! Et le marketing doit vraiment arrêter de dire que c'est simplifié, facile à jouer. Il faut laisser la presse vanter vos simplifications si vous les avez faites correctement. Mais en aucun cas il faut se vanter d'avoir simplifié un jeu. Ce qu'il faut dire c'est "Regardez à quel point c'est cool ! Regardez à quel point c'est beau ! Est-ce que tu n'as pas envie d'infliger ça à quelqu'un d'autre ?!"

Quand nous faisions nos streams de présentation de personnages de Killer Instinct, on ne disait jamais "C'est facile, n'importe qui peut le faire". On disait des choses du genre "Vous pouvez faire ce double cross-up et c'est couvert par cette boule de feu et cela va revenir dans 8 secondes. Tu veux rendre fou ton adversaire avec non ?!". Et cela a excité les joueurs et ça s'est vendu !

Beaucoup de services marketing ne savent pas ce qui fait l'attrait d'un jeu de combat. Est-ce apprendre le jeu vite et être le meilleur tout de suite ? Tout le monde sait que c'est impossible. Si c'était le cas le jeu serait merdique et vous ne voudriez pas y jouer. Tout le monde serait tout de suite le meilleur. Quel type de jeu c'est ça ? C'est stupide et revient à lancer des dés.

James : J'écrivais dans un article récemment qu'il faudrait rendre les choses simples agréables. Prends un Falcon Punch dans Smash Bros. Tu appuies sur B et ça fait "FAAAAAAALCON PUNCH". Si tu es meilleur qu'un autre joueur et qu'ils te touchent avec ce Falcon Punch, ils vont t'en parler toute leur vie !

David : C'est arrivé avec mes deux petits frères !

Exactement ! Mon père a joué à Soulcalibur avec nous une fois. Il ne prenait pas le jeu au sérieux et nous on était nuls. Il a pris Voldo, il jouait au stick arcade avec ses pieds tout en parlant et il bat un de mes amis. Il en parle toujours aujourd'hui !

Ces interactions sont cools et c'est ce qu'on veut de ce genre de jeux.

James : C'est ce que beaucoup semblent oublier. Le but n'est pas de simplifier le jeu mais de faire en sorte qu'on se sente bien quand on réussit des trucs.

C'est de l’expérience utilisateur ! C'est un retour audio et vidéo que le jeu vous fait. Quand je fais le Power Line de TJ dans Killer Instinct c'est plaisant, j'ai 20 frames de hit stop et ça fait du bien. Il faut ce genre de choses partout dans le jeu. Pour prendre un autre exemple, si je me lance dans Tekken ou Soulcalibur et appuie sur tous les boutons, mon personnage va faire une tonne de trucs stylés. Je n'ai aucune idée de ce que j'ai fait mais mon personnage tourne dans tous les sens en donnant des coups. Cela me donne envie de continuer à jouer.

Puis je prends Street Fighter, j'appuie sur tous les boutons et mon personnage... (il mime un personnage frappant dans le vide) a l'air stupide. Cela donne la sensation que je ne sais pas ce que je fais. Et oui, c'est normal que le jeu réagisse ainsi, mais ce n'est pas une expérience utilisateur agréable. Si vous voulez que les joueurs restent, il faut leur donner un petit aperçu de à quoi ça va ressembler quand ils sauront jouer. Et Street Fighter ne donne pas cet aperçu et ne l'a jamais donné.

James : Ce qui est paradoxal c'est que la chose la plus proche qui soit arrivée avec Street Fighter c'est le raccourci des Shoryuken dans le 4.

Mais quand les boules de feu étaient un coup secret, voir un Ryu en faire une au hasard vous faisait arrêter de jouer. "C'était quoi ça, c'était fou !". Et vous passiez des mois à explorer des magazines expliquant comme le faire. Et une fois compris, vous l'appreniez à tous les autres pour que tout le monde s'éclate. Mais tout ça c'est fini ! C'est beaucoup plus simple à faire, il y a parfois des coups sur un seul bouton. Ce n'est plus cool de jeter une boule de feu. Cela ne donne plus ce ressenti viscéral. Vous ne pouvez plus vous reposer là-dessus.

James : Et à coté, j'ai ressens toujours une excitation quand je fais un stand light kick suivi d'un Spinning Pile Driver avec Zangier dans Street Fighter 2X parce que c'est difficile.

Tout à fait ! Après l'amélioration de l'expérience utilisateur et la réduction des barrières à l'entrée, il faut un matchmaking rapide qui met les joueurs de même niveau les uns contre les autres. C'est impossible à faire au lancement du jeu car vous n'avez aucune donnée sur les joueurs.

Alors pourquoi ne pas tenter l'auto-évaluation ? Tiens David, es-tu un joueur de niveau 1, 2, 3, 4 ou 5 ? Quelle note tu te donnerait ?

David : 4 !

4 ? Dans ce cas nous allons vous faire jouer contre des joueurs de niveau 4 pour la première semaine en attendant de mieux savoir quel est votre niveau. C'est simple et pourtant personne n'a essayé.

Évidemment certains vont mal s'auto-évaluer, il y aura forcément quelqu'un atteint du syndrome Dunning-Kruger qui a joué aux jeux de combat 5 heures dans sa vie et se notera 4 sur 5. Et il va combattre David et sera très triste ! Mais il l'a choisi et le matchmaking est donc aussi de son fait. Ce n'est donc pas trop important pour le développeur.

Un des moyens de réduire la barrière à l'entrée c'est le tutoriel. Beaucoup parlent de celui d'Under Night In-Birth comme étant le meilleur. Il me laisse passer les leçons dont je n'ai pas besoin si je sais déjà jouer à un jeu de combat. Mais je dois tout de même identifier ce que je dois apprendre ou non. Cela pourrait être réglé par une auto-évaluation : "Vous ne connaissez pas les jeux de combat, ou vous ne connaissez pas Under Night In-Birth ?" Si je réponds que je connais Under Night, je passe tout un tas de leçons sur comment marcher, bloquer, sauter.

Diminuer la frustration est le but de l'expérience utilisateur. Ne foutez pas les joueurs en pétard. Ça les démange déjà de partir. Ne leur donnez aucune raison de partir.

Une fois rendu dans le jeu lui-même, on peut parler des différents planchers de progression et du fait qu'il en faut de très bas pour les nouveaux joueurs. Appuyer sur tous les boutons dans Tekken et Soulcalibur en est un, et c'est ce qui nous a encouragé à faire le mode Assistance de combos dans Killer Instinct. On voulait plus de feu d'artifices quand les joueurs font n'importe quoi.

Mais de hauts planchers de progressions sont aussi extrêmement importants. Les gens ne resteront pas s'ils ne voient pas un moyen de progresser et s'ils ne sont pas récompensés pour le temps qu'ils ont investi dans le jeu. Est-ce que cela veut dire qu'il faut des combos one frame link ? Non ! La compréhension de la situation dans le jeu est une compétence de haut niveau et il faut qu'il y en ait beaucoup à apprendre. Il faut des situations où la bonne réponse n'est pas évidente. Évidemment cet équilibre est difficile à trouver quand on essaie d'avoir un plancher assez bas pour les débutants. Mais cela a déjà été réussi et continuera de l'être avec le support de bons designers. C'est très difficile mais c'est ce qu'il faut faire.

Si vous êtes dans une réunion avec un éditeur et qu'il vous dit que le débutant doit avoir une chance contre l'expert, il vous demande de faire un mauvais jeu vidéo.

David : Dans beaucoup de jeux de ces dernières années, des designers ou producteurs disent qu'ils vont rendre leurs jeux plus accessibles aux débutants. Est-ce que tu penses qu'ils fabriquent leur jeu avec cette approche ou c'est encore du marketing raté ?

Dans le cas de Guilty Gear Strive il y a des choses qui sont destinées à des joueurs de jeu de combat qui ne touchent pas à Guilty Gear. Avoir moins de combos spécifiques liés au poids des personnages est par exemple une bonne chose. Simplifier les mécaniques défensives, comme en intégrer une dans le Roman Cancel (bien que ce soit pas encore parfait) c'est une bonne idée. Beaucoup de ces modifications ne vont pas abaisser les paliers de complexité du jeu, elles pourraient même les élever. Globalement cela va réduire le nombre de choses à connaître pour la cible du jeu, qui est typiquement un joueur qui connaît le jeu de combat et veut combattre des joueurs de Guilty Gear ayant un niveau moyen. Dans ce contexte certaines décisions font sens.

Et il y a d'autres changements, comme les gatlings. Ils ont du sens si on les prend comme un moyen de réduire la dégénérescence des routes de combo, pour faire en sorte qu'on obtienne pas le même combo peu importe l'ouverture, ce qui est un problème dans les jeux comme Guilty Gear et Marvel. Dans Marvel peu importe le bouton et la situation, je touche et fait le même combo et à la fin je fais 100% de dégâts. Je pense que ce changement des gatlings existe pour rendre les combos visuellement différents au lieu d'avoir juste des dégâts différents qui mènent à la même situation en fin de combo.

De ce point de vue ça fonctionne, mais ce changement est à l'opposée du reste. C'est beaucoup plus compliqué à expliquer à un nouveau joueur que simplement Punch > Kick > Slash > Heavy Slash. J'ai vu un schéma de comment ça marche et je comprends hein, mais je dois expliquer 5 trucs à un nouveau joueur au lieu d'une seule.

C'est difficile. Si je faisais un nouveau jeu je pense que je tenterais de différencier la récompense entre débuter avec un coup faible ou un coup fort afin que le risque et la récompense soient plus équilibrés. Mais je ne sais pas si cette idée marchera pour eux sur le long terme. Je n'ai joué que 12 matchs et regardé qu'une heure de vidéo, donc je pourrais me tromper.

James : Pour moi, et je ne sais pas si tu es d'accord, j'ai toujours trouvé que les premiers Smash Bros étaient un bon exemple de jeu accessible qui est difficile à haut niveau. Quels sont selon toi les jeux de combat qui atteignent cet équilibre ?

Pour le coup pas Smash Melee. C'est un jeu où j'appuie sur la direction gauche et je n'ai aucune idée de ce qui va se passer. Il va se tourner, se mettre à courir, à marcher ? Je ne sais pas car je dois y jouer avec un stick analogique et c'est nul. De par leur nature analogique j'ai toujours lutté avec les contrôles dans Smash. Ils sont super sensibles et beaucoup d'actions sont superposées. Je ne trouve pas Smash facile pour les débutants.

Je comprends que si l'on joue avec d'autres joueurs qui n'ont aucune idée de ce qu'ils font on obtient que des gros coups. Mais c'est aussi le seul jeu où il est possible d'appuyer à gauche et de mourir en tombant du stage par erreur. Dans Melee même attraper le rebord du stage est difficile. Les nouveaux Smash sont plus faciles à jouer cependant.

Tekken, Soulcalibur, Killer Instinct sont pour moi des jeux accessibles. Je pense qu'il faut éviter de ruser pour faire croire aux joueurs qu'ils pouvaient gagner. Les systèmes de Guts par exemple ne sont pas bon. Ils obscurcissent l'information, notamment combien de vie il reste et combien de dégâts un combo a fait. C'est juste désigné pour faire croire que le match est plus équilibré qu'on ne le pense. Si je suis à 10% de vie et que David est à 40%, le Guts nous fait croire qu'on est à 15% et 25%, ce qui est faux. On peut perdre et se dire qu'on était proche de gagner et que la prochaine sera la bonne, mais cela reste un mensonge. Je ne pense pas que cela aide.

James : Tous les jeux ont un auto-combo maintenant...

Et c'est devenu comme la boule de feu, tout le monde s'attend à ce qu'il soit là et ça n'a plus rien de cool.

James : Mais dans des jeux qui permettent d'appuyer sur tous les boutons, comment faire en sorte que cela ne soit pas trop fort ou à l'inverse trop faible ? Par exemple l'assistance aux combos de Killer Instinct ?

C'est un peu spécial dans Killer Instinct car par design, le combo le plus facile est aussi le plus puissant, parce qu'il est le plus facile à combo breaker. De base nous avions un avantage en créant un système pareil car cela ne change rien au jeu et n'a aucun impact sur la prise de décision du joueur. Et c'est assez facile de voir quand un joueur utilise l'assistance aux combos parce qu'il répète souvent les même séries de coups, ce qui les rend encore plus facile à combo breaker.

On dit parfois également que renvoyer les deux joueurs en neutral avantagerait le débutant mais ce n'est pas vrai... Un joueur moins bon n'a pas plus de chances de gagner parce qu'il est à mi-distance de son adversaire.

James : Il y a peu je disais que renvoyer les joueurs en neutral plus souvent ne favorisait pas le débutant mais lui faisait croire qu'il allait jouer plus longtemps. Quand Tekken 7 est sorti on entendait dire "Je comprends pourquoi je perds dans Tekken 7" alors que ce n'est probablement pas le cas. Ils se sont juste relevés plus souvent et ont eu la sensation de savoir ce qu'ils faisaient.

Oui le vortex/okizeme à relevée est un énorme problème pour tout le genre, car vous vous retrouvez au sol et avez le ressenti que vous ne pouvez pas jouer. Est-ce que les jeux devraient totalement retirer l'okizeme afin que les joueurs aient la sensation d'avoir joué ? La réponse est que c'est probablement impossible.

Vous jouez à un jeu où soit vous avez le contrôle, soit vous ne l'avez pas, que ce soit en garde ou en hit. Les gens trouveront toujours un moyen de retirer le contrôle à leur adversaire, qui auront la sensation de ne pas avoir joué. Si la relevée est plus rapide certains l'exploiteront. Si elle est lente pareil. C'est un problème complexe.

Tekken a une relevée très complexe pour un nouveau joueur. C'est un gros pallier à franchir alors que le reste de Tekken est plutôt simple.

James : C'est la raison pour laquelle dans Tekken 7 il suffit d'appuyer sur arrière pour se relever et échapper à la plupart des attaques. C'est rare de se reprendre un combo quand on se redresse comparé aux anciens épisodes.

L'okizeme est un souci que beaucoup de designers doivent prendre en compte. Mais beaucoup de joueurs aiment la mettre la pression. Il faut donc lui laisser une place malgré tout. Par exemple dans Killer Instinct la pression à la relevée est énorme mais comme il est possible de revenir au jeu neutre en cassant les combos, ce qui empêche la relevée d'arriver trop souvent.

James : Tu penses que la popularité de Tekken 7 vient aussi du fait que l'importance de la relevée ait été réduit ?

Oui, cela réduit le nombre de pré-requis pour commencer à jouer plus rapidement. Après encore une fois, je parle de joueurs de jeux de baston qui commencent Tekken, je ne parle pas de gens qui ne connaissent pas le genre.

James : Un peu comme les backdash invincibles dans Street Fighter 4. A bas niveau c'était un bon moyen de sortir de situations difficiles.

Oui, c'est aussi pour ça qu'on en a mis dans Killer Instinct. Beaucoup de mes jeux favoris en ont. Si l'adversaire réussit à deviner le backdash il est récompensé, sinon vous sortez d'une situation difficile et retour au neutral, où vous allez probablement perdre si vous êtes le moins bon des deux.

Une autre chose qu'il est possible de faire pour que les joueurs restent sur le jeu, et je ne sais pas si cela va être une opinion controversée mais c'est très important pour moi. Votre jeu doit avoir un public cible n'est-ce pas ? Les personnages devraient aussi.

James : Yeeeeeeees !

Chaque personnage devrait avoir un public cible. J'ai fait des personnages pour David. Je l'avais en tête quand je parlais avec mon équipe. "C'est un personnage qui doit faire perdre la tête à David." Cela n'a aucune importance si ce personnages est le plus faible du jeu. Il va l'adorer et il va le jouer quoi qu'il arrive.

David : Oui...

Prenez un Top 8 de Street Fighter 5 saison 1 où il y a trois Cammy, deux Nash et trois autres personnages. Ce n'est pas, à mon avis un souci d'équilibrage car l'équilibrage dans le sens traditionnel du terme (où vous équilibrez les personnages pour qu'ils aient tous une chance égale de gagner) n'est pas important. Si vous allez dans cette direction vous constaterez une uniformisation des styles de jeu. Il y en a aura moins car il faut assurer l'égalité entre les personnages et les joueurs favoriseront deux types de personnages. Soit les plus faciles, car après tout si tout le monde est à égalité, pourquoi jouer un personnage difficile ; ou les personnage les plus cools ou populaires.

Et donc vous vous retrouvez avec une homogénéité en tournoi parce que le jeu a deux plans de jeu viables et qu'il y a deux personnages qui sont soit plus faciles, soit plus cools à jouer que les autres. Ils sont peut-être aussi plus forts, mais peu importe.

Killer Instinct n'est pas équilibré pour l'égalité des chances. Aria est volontairement un personnage plus fort que les autres parce qu'elle est plus risquée à jouer que les autres. Si Aria était aussi forte que Jago, personne ne la jouerait car ce ne serait pas rentable de passer autant de temps dessus. Elle doit être meilleur ! Dans le même genre Mira utilise sa propre vie pour faire des dégâts, elle doit donc être un des meilleurs personnages du jeu. Sinon personne ne la jouerait.

A l'inverse, un personnage frustrant qui pourrait vous faire quitter le jeu, comme Aganos, doit être plus faible. S'il était aussi fort que Jago plus personne ne jouerait à Killer Instinct car ce personnage rend les combats affreux. Et malgré cela il gagne des tournois ! Ce n'est pas parce qu'il est aussi fort que les autres, mais parce que la personnalité des joueurs ressort à travers lui. La variété d'un top 8 de tournoi vient de la personnalité des joueurs, pas de l'équilibrage.

David : Le jeu est tout de même bien équilibré et essaie de rendre tout le monde viable !

Huum oui (rires). L'équilibrage dans Killer Instinct vient du ratio risque/récompense. C'est la question qu'il faut se poser à chaque décision. Si un Light Punch présente a un risque faible et que sa récompense est moyenne, est-ce un souci ? Non si tous les personnages sont traités de la même manière. Et si un personnage ne l'est pas, il faut pouvoir le justifier. Par exemple Arbiter a moins de récompenses sur ses jabs que les autres personnages. Mais c'est justifié dans le sens où il peut faire tout un tas d'autres choses très fortes, il faut donc lui donner une faiblesse.

Si vous regardez votre jeu de manière holistique, comme un ensemble, le résultat est souvent décent et il ne reste à s'occuper que des cas extrêmes. Par exemple le matchup Sadira (un personnage aérien très mobile) contre Aganos (un personnage au sol très lent) était à 9/1 en faveur de Sadira au début du jeu. Dans ce cas il faut intervenir.

Tant que le ratio risque/récompense est correct et que les personnages ciblent un public précis, il y aura de la diversité. Les gens veulent de l'équilibrage parce qu'ils veulent de la diversité. Ils ne veulent pas que les personnages soient égaux, ils veulent voir une plus grande variété de personnages. Mais cela n'arrive pas en visant l'égalité.

Regardez les Top 8 de Guilty Gear, il y a énormément de variété et le jeu n'est pas réputé pour son équilibrage. Mais les personnages sont tellement variés que la personnalité des joueurs ressort à travers eux. Ils sont accros à un plan de jeu et prennent le personnage qui leur permet de l’exécuter. Il y a des gens qui vont jouer Venom toute leur vie, c'est un personnage compliqué, pas pour tout le monde. Mais quand vous le voyez dans un top 8 c'est génial.

Il faut rendre les personnages le plus fun et puissant possible sans briser cette barrière de frustration qui fait quitter le jeu.

James : Même si Street Fighter 5 a fait des progrès, j'ai tout de même envie que certains personnages aient des Dragons invincibles, qu'un personnage ait une balayette safe...

Il y a de plus en plus de manières de jouer qui n'étaient pas valides dans les saisons précédentes. C'est pour cette raison qu'il y a plus de variété, parce que la personnalité des joueurs commence à transparaître. Comme on le disait, la saison 1 et 2 n'avaient que un ou deux plans de jeu valides et ceux qui gagnaient prenaient les personnages les plus faciles ou les plus forts. Maintenant il y a 5 ou 6 plans de jeu valides.

Je pourrais me tromper sur toute la ligne, mais plus je bosse sur ce sujet et plus je me dis qu'équilibrer pour l'égalité est une folie qui donne le résultat opposé à celui voulu. J'appelle cela "équilibrer harmonieusement", ce qui est un peu idiot, mais cela vise à créer un jeu harmonieux où tous les joueurs s'amusent.

Je pense que Tekken a aussi ce problème. Tous les personnages semblent faits pour le même type de joueur, ils sont globalement un style de jeu assez similaire. Il y a énormément de nuances, mais il y a finalement peu de manières différentes de jouer à Tekken. Si vous aimez cette manière de jouer c'est génial, mais cela limite la portée du jeu.

David : C'est la principale raison pour laquelle je n'y joue pas. Si je dois jouer à un jeu 3D je préfère Soulcalibur car il y a un personnage qui peut faire ce que j'ai envie de faire, ainsi qu'un autre qui fait tout l'inverse. La différence de plan de jeu est importante.

Je pense que Soulcalibur est un succès total quand aux personnages qui ciblent chacun un public spécifique.

James : C'est aussi la raison pour laquelle j'encense Street Fighter 4. Oui il y a peut-être trop de chopeurs, mais il y a le perso Poongko, le perso Filipino Champ, le perso Snake Eyes...

Et ce ne sont même pas des styles de jeu, ce sont des gens ! Et d'autres ont joué ces même personnages pour encore d'autres raisons, et ils font partie de la cible du jeu.

James : C'est pour cela que j'étais content quand ils ajouté Menat dans Street Fighter 5, parce qu'elle remplit la case "perso à exécution" pour des joueurs comme Sakonoko.

Mais ajouter un personnage qui devient une bouffée d'air frais ne devrait pas arriver au départ. La question du plan de jeu se pose dès le premier jour de création du personnage, afin de couvrir un plus grand nombre de joueurs.

James : Imagine si la première saison de Street Fighter 5 avait été la troisième...

Le jeu aurait été mieux reçu. Et il n'y aurait pas eu de rootkit !

David : Autre chose à ajouter ?

Non je pense que j'ai fait le tour de mes notes ! Même si vous n'êtes pas d'accord avec moi c'est une conversation intéressante à avoir. Je pense que les joueurs et commentateurs peuvent devenir meilleur au sujet de l'équilibrage des jeux, notamment dans la manière dont ils en parlent auprès de gens plus impressionables qu'eux. Avec un peu de chance notre conversation apportera plus de discussions.

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